Peindre la nature
Oiseaux, poissons et fleurs
On voit arriver en Inde, au XVIIIe siècle, de plus en plus de femmes éduquées de la bourgeoisie et de la classe moyenne. Elles s’ajoutent à celles provenant de milieux ouvriers qui y vivent depuis la fondation de la Compagnie des Indes orientales, en 1603.
Ces femmes éduquées forment la base d’une transmission informelle des savoirs. Si les femmes ne font pas partie des corps professionnels ni des sociétés scientifiques, elles répandent et popularisent l’information par le biais de leurs lettres, de leurs comptes rendus publiés et de leurs illustrations.
La principale science dont les femmes se réclament est la botanique, ce qui s’inscrit dans leur tradition d’intérêt à l’égard des plantes médicinales, des jardins et de la propagation des plantes, indigènes et étrangères. Les deux sœurs s’intéressent au jardinage et prennent toutes deux part à des échanges de plantes avec des pépinières en Angleterre.
Si les sœurs ne sont pas uniques du point de vue de leurs intérêts et de leurs accomplissements, elles ont toutefois produit un travail artistique de qualité exceptionnelle, remarquable parmi les œuvres d’amateurs, tout particulièrement les tableaux d’Elizabeth représentant des oiseaux.
Selon la présentation de Rosemary Raza, Londres, R.-U.m dans le cadre du symposium en ligne sur le projet de recherche Gwillim.
Peindre les oiseaux
Avant l’invention de la photographie, les naturalistes catégorisent surtout les oiseaux en fonction des représentations réalisées par des artistes. Comme la plupart des artistes spécialisés en peintures d’oiseaux de l’époque, Elizabeth Gwillim peint ses sujets de profil. Elle présente un grand talent pour le placement et la coloration des plumes, essentiels à l’identification des oiseaux. Elle s’inspire beaucoup du graveur anglais Thomas Bewick, auteur du livre British Birds (1797-1804), et les arrière-plans détaillés de certaines des peintures d’Elizabeth correspondent à la pratique du graveur, qui tendait à inclure des scènes de la vie quotidienne à ses livres. Ainsi, cette peinture d’un coq montre le détail d’étables en arrière-plan, à la gauche des oiseaux.
Les lettres et les tableaux d’Elizabeth Gwillim présentent une sélection d’oiseaux qu’elle a observés vers le début du XIXe siècle à Madras (aujourd’hui Chennai). Elle a peint en tout 104 espèces d’oiseaux, y compris ceux qu’elle observait dans ses jardins et d’autres qui lui étaient apportés par des professionnels indiens de la capture d’oiseaux. Ces hommes, en plus d’attraper les oiseaux, les tenaient pendant qu’ils étaient peints et s’occupaient de ceux gardés en cage, permettant à Gwillim de réaliser des portraits si vivants. Elle n’a pas peint que des espèces natives de la région; certaines d’entre elles étaient importées par des amateurs d’oiseaux ou en tant que gibier à plumes par des chasseurs.
L’étude de la botanique
À Madras, Elizabeth Gwillim étudie la botanique avec le missionnaire Johann Peter Rottler. Apprendre la botanique indienne l’a aidée non seulement à identifier les plantes de son jardin, mais aussi à parfaire son étude du telugu. Étant donné l’abondance de métaphores botaniques dans la littérature, connaître la flore locale était essentiel à l’interprétation des textes.
Mary Symonds écrit que sa sœur consultait aussi des « médecins natifs » pour s’informer des noms communs ainsi que des brahmanes pour connaître les noms sanskrits des plantes; elle cherchait leurs noms scientifiques latins dans un exemplaire du Miller's Gardener's Dictionary, qu’elle avait apporté avec elle.
Bien que les sœurs aient sans doute réalisé beaucoup plus de tableaux de fleurs et de plantes, il ne reste que douze tableaux botaniques dans la collection Blacker Wood à McGill. Quand Casey Wood a fait l’achat d’albums représentant des fleurs, des poissons et des oiseaux au nom de la bibliothèque de McGill auprès d’un libraire londonien en 1925, il a su que certaines œuvres de la collection avaient été vendues pour être encadrées ou pour décorer des pare-étincelles. C’est probablement ce qui est advenu des plus beaux exemples d’art botanique réalisé par les sœurs.
Pour en savoir plus sur la première acquisition des tableaux par Casey Wood, écoutez l’épisode 2 de notre balado.