Les sœurs et la Compagnie
Les sœurs à Madras
Vers la fin mars 1801, Elizabeth Gwillim et son époux Henry Gwillim, juge récemment nommé à la Cour suprême, quittent l’Angleterre à bord du navire Hindostan, de la Compagnie des Indes orientales. Quatre mois plus tard, ils arrivent à Madras (aujourd’hui Chennai) dans le sud de l’Inde, berceau de la Compagnie.
Elizabeth Gwillim a alors 38 ans, et son mari, 41. La jeune sœur non mariée d’Elizabeth, Mary Symonds, âgée de 28 ou 29 ans, se joint à eux, comme bien des jeunes femmes anglaises de l’époque, afin de trouver un mari parmi les célibataires de la Compagnie en Inde.
Elizabeth et sa jeune sœur Mary sont originaires d’Hereford, une ville d’Angleterre située près de la frontière avec le pays de Galles. Elles grandissent dans une famille de la classe moyenne passionnée par les arts. Leur père, Thomas Symonds, est architecte, bâtisseur et sculpteur; il travaillait à la rénovation de maisons de campagne et avait longtemps été arpenteur de la cathédrale de Hereford. Leur mère, Esther Symonds, reprend les rênes de l’entreprise d’architecture et de construction après la mort de son mari, en 1791, avec l’aide d’Hester, sœur d’Elizabeth et de Mary (1768-1828).
En 1784, Elizabeth Symonds épouse Henry Gwillim, jeune avocat issu d’une famille éminente de Hereford (son père était conseiller municipal, et son frère, apothicaire). Ils ont des enfants, qui meurent tous en bas âge; dans ses lettres écrites en Inde, elle décrit son mari et elle-même comme étant « sans enfants ».
Fort d’une carrière couronnée de succès en droit, Henry devient juge en chef d’Ely en 1797, puis est nommé puîné ou juge débutant de la Cour suprême de Madras en 1801.
Les Gwillim partagent un grand intérêt à l’égard de l’histoire naturelle et des arts. En effet, le soutien de son mari aurait été essentiel au travail artistique et de recherche d’Elizabeth.
Mais contrairement à sa sœur Mary, Elizabeth Gwillim est de constitution fragile; elle meurt donc à la ferme que loue le couple à Pammal, près de Madras, en décembre 1807.
Après un conflit avec le juge en chef au sujet de la conduite du tribunal, Sir Henry est démis de ses fonctions en novembre 1807 et renvoyé en Angleterre. Mary Symonds et son beau-frère quittent l’Inde pour rentrer au pays au mois d’octobre 1808. C’est d’ailleurs lors de ce voyage que Mary rencontre son futur époux, John Ramsden, capitaine du navire.
La Compagnie des Indes orientales
La Compagnie des Indes orientales est fondée à Londres en 1600 par un groupe de marchands, dans le but d’établir un commerce en Inde. Elle établit sa première « usine », ou centre de commerce, en Inde, en 1611. Il s’agit d’une compagnie par actions qui importe des produits indiens tels que des épices, du coton, de la soie, du sucre et des biens de luxe, et réalise des profits pour ses actionnaires de Londres. La Compagnie fonde un fort et un centre de commerce à Madras en 1639.
Le commerce des épices génère énormément de profits; la Compagnie livre donc une concurrence féroce à la Compagne néerlandaise des Indes orientales ainsi qu’aux Français. Vers la fin du XVIIe siècle, la Couronne anglaise concède à la corporation le droit d’acquérir des territoires, de frapper sa propre monnaie, de commander des troupes et des forts, et de gouverner les terres qu’elle a acquises.
L’empire commercial international de la Compagnie était dirigé à partir de Londres par un petit groupe d’hommes étroitement associés à l’État britannique et soutenus par la puissance navale du pays. La Compagnie a toujours été armée; ainsi, elle fait appel à la force militaire pour percevoir des impôts et protéger ses revenus ainsi que ses droits en tant que monopole (dont les revenus sont à leur tour investis dans sa force militaire).
Ainsi, tant au moyen d’alliances avec les États princiers de l’Inde que de l’annexion de territoires et de royaumes par la force, la Compagnie règne sur la majorité de l’Inde au moment de l’arrivée des Gwillim.
Le climat de la fin du XVIIIe siècle entraîne bon nombre de pénuries et de famines dans le sud de l’Inde, y compris à Madras et dans les environs. Or, les pratiques de collecte des revenus de la Compagnie intensifient la pression imposée aux fermiers ainsi que les effets de la famine.
La première révolte violente à grande échelle contre la Compagnie des Indes orientales, menée par les cipayes indiens (soldats servant les Britanniques), a lieu dans la ville de Vellore, dans le sud de l’Inde, en 1806; des mutins saisissent le fort de la ville et tuent ou blessent environ 200 membres des troupes britanniques. Cette révolte précède d’un demi-siècle la Rébellion indienne de 1857, qui met fin à la domination de la Compagnie au pays.
Pour lire le récit que font les sœurs de cette révolte dans leurs lettres, rendez-vous sur le site Web du projet Gwillim (cliquer ici pour avoir plus de détails).